Les fantômes de Napoléon

Plus de 200 ans après sa mort (le 5 mai 1821 à Saint-Hélène), Napoléon fait toujours parler de lui. Cette semaine, c’est la sortie du film Napoleon de Ridley Scott qui a ravivé les passions. Ce biopic, dans lequel Joaquin Phoenix incarne Bonaparte, a déjà suscité beaucoup de commentaires et réveillé des controverses.

Je ne critiquerai pas le film, puisque je ne l’ai pas encore vu, mais je vous propose de (re)découvrir une version mise à jour et légèrement remaniée de cet article datant de 2015. Écrit au moment du bicentenaire de la bataille de Waterloo, il pointait déjà à quel point Napoléon et ses fantômes hantent notre histoire, notre imaginaire et même notre présent.

Bicentenaires controversés

En 2015, on célébrait le bicentenaire de la bataille de Waterloo. C’est en effet le 18 juin 1815 que Napoléon perdait sa dernière grande bataille face aux forces alliées européennes.

Cet événement historique a été célébré de diverses manières selon les pays. En Belgique, on a sorti les tambours et les trompettes, pour une reconstitution de grande ampleur sur les lieux même de la célèbre bataille (5 000 figurants, 360 chevaux, une centaine de canons…). La France, en revanche, a préféré oublier ces commémorations.

En 2021, plusieurs événements ont commémoré le bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte, en France et Belgique, dont l’exposition Napoléon : au delà du mythe à la gare de Liège-Guillemins. Comme son nom l’indique, cette expo ambitieuse tentait d’explorer les différentes facettes du mythe napoléonien à travers une large sélection d’objets et quelques reconstitutions.

Napoléon, héros ou tyran ?

Que faut-il retenir de Napoléon. Était-ce un héros, qui fit basculer l’Europe dans la modernité ? Ou un tyran sanguinaire qui noya les nations européennes dans un bain de sang. A moins que la vérité soit entre les deux, puisque l’un n’empêche pas l’autre.

Quoi qu’il en soit, les multiples fantômes de Napoléon nous suivent partout. Je les ai croisés en différents lieux au cours de mes voyages. En France, en Belgique, dans l’est de l’Europe et même en Angleterre.

Napoléon à Waterloo

Le premier lieu où j’ai croisé le fantôme de Napoléon, c’est à Waterloo, où, enfant, j’allais visiter mes grands-parents. Nous allions manger au restaurant, au pied de la célèbre butte qui commémore l’ultime bataille de l’empereur.

Pendant que les repas s’éternisaient, de la poire au dessert, arrosés de fine Napoléon, je m’esquivais. Je les ai escaladées quelques fois ces 226 marches qui mènent au fameux lion en fonte dominant la morne plaine. Quand il pleuvait, c’était le Panorama de la bataille qui avait ma préférence. J’étais fasciné par cette immense toile peinte circulaire qui reconte la bataille de Waterloo.

Bien plus tard, je me suis souvenu de ces moments d’enfance en réalisant un poster réunissant Napoléon et le Lion de Waterloo.

Napoléon à Liège

A Liège, ma ville natale, Napoléon fit une visite officielle en 1803 et laissa en cadeau ce célèbre portrait signé Ingres. Longtemps exposé au Grand Curtius, le musée d’art et d’histoire de la ville, il est est à présent un des chefs-d’oeuvre des collections de La Boverie.

Napoléon à Bratislava

Contre toute attente, Napoléon Bonaparte est aussi présent à Bratislava, notamment avec cette sculpture de Juraj Melis (1942-2016). Cette drôle de statue fait le régal des touristes, avec son fameux bicorne qui semble lui cacher les yeux.

Guerre et paix à Presbourg

Napoléon est venu deux fois à Bratislava, quand elle s’appelait encore Presbourg. La première fois, c’était pour y signer le traité de Presbourg, en 1805. Il venait de remporter la bataille d’Austerlitz (surnommée la Bataille des trois empereur) et ce traité de paix consacrait la paix avec l’Autriche. La signature a eu lieu dans le palais primatial, que j’ai eu le plaisir de visiter bien des années plus tard.

La paix avec l’Autriche n’a guère duré. En 1809, les troupes napoléoniennes assiègent Presbourg, où des régiments autrichiens se sont retranchés. La Grande Armée n’arrive pas à traverser le Danube et la ville est bombardée sauvagement. Les affrontements connaîtront leur dénouement à Wagram, avec la défaite des Autrichiens. Ce sera la dernière grande victoire de Napoléon.

Bratislava commémore chaque année la vaillante résistance de la ville contre l’envahisseur français par une grande reconstitution en costumes sur la rive droite du Danube, à l’endroit du champ de bataille.

Napoléon ou Hubert ?

Quant à la fameuse statue de Napoléon penché sur son banc, il ne s’agirait pas de l’empereur, mais d’un de ses soldats. La légende raconte que ce soldat napoléonien serait tombé amoureux d’une fille de la ville alors qu’il traversait Presbourg en 1805. Il aurait déserté pour elle et serait devenu producteur de vin mousseux auquel il donna son nom : Hubert. C’est aujourd’hui la marque de vin pétillant la plus populaire en Slovaquie.

Il est possible de faire tout un parcours Napoléon, en français, avec le meilleur guide touristique de Bratislava, Jacques Hoflack.

Napoléon à Lille

Je me souviens aussi de cette autre statue, impériale, de Napoléon, parfaitement mise en valeur au Palais des Beaux-Arts de Lille. Cette sculpture en bronze d’Henri Lemaire, réalisée en 1854, montre l’empereur en protecteur de l’agriculture et de l’industrie.

Napoléon à Paris

Le tombeau de Napoléon aux Invalides

La statue en majesté de Lille n’a rien à envier à celle qui trône dans le tombeau de Napoléon aux Invalides, à Paris, où l’Empereur repose dans un énorme sarcophage.

L’église Saint-Louis des Invalides, qui fait partie de l’hôtel national des Invalides, n’a pas été choisie au hasard pour accueillir le tombeau de Napoléon Ier. C’est en effet là qu’en 1804, se déroule la première remise des médailles de la Légion d’honneur. L’empereur en personne récompense ses officiers les plus méritants lors d’une cérémonie fastueuse, à laquelle assiste tout le gratin parisien.

En 1840, vingt ans après la mort de Napoléon, le roi Louis-Philippe accepte que le corps de l’empereur déchu soit rapatrié en France. Il faudra plus de vingt ans de travaux avant que la dépouille n’intègre le tombeau, creusé sous le dôme des Invalides.

 

On comprend pourquoi les travaux ont pris autant de temps lorsqu’on découvre le tombeau. L’imposant sarcophage en quartzite rouge repose sur un socle de granit vert au centre de la crypte à ciel ouvert, creusée sous le dôme. Ce sarcophage renferme cinq cercueils emboîtés les uns dans les autres. Au sol, une mosaïque évoque les grandes batailles de l’Empire. Douze statues colossales de Victoires encerclent la crypte, adossées aux piliers. Enfin, dix bas-reliefs en marbre retracent l’oeuvre de Napoléon dans une galerie circulaire périphérique.

Le Sacre de Napoléon au Louvre

Impossible de quitter Paris sans faire un crochet au musée du Louvre pour admirer un des plus impressionnants tableaux consacrés à Napoléon. Le Sacre de Napoléon a été commandé à Jacques-Louis David par Napoléon lui-même, quelques mois avant le sacre, qui s’est déroulé le 2 décembre 1804.

Il faudra plus de deux ans à David pour terminer cette toile gigantesque (environ 10 mètres sur 6). Aucune reproduction ne peut vraiment rendre compte de sa grandeur. La peinture est tellement grande qu’elle est très difficile à photographier.

Ce témoignage parfait de la mégalomanie de celui qui se rêvait en empereur romain est aujourd’hui un des chefs-d’oeuvre du Louvre.

Napoléon à Londres ?

Napoléon est partout, même à Londres, à Trafalgar Square. Du moins dans l’imaginaire de certains touristes français, qui s’obstinent à le voir au sommet de la Colonne Nelson. La colonne doit pourtant son nom à l’amiral Nelson, qui défit Napoléon à la bataille de Trafalgar.

Napoléon, un mythe éternel ?

Comme le montrent ces quelques exemples, les fantômes de Napoléon sont partout. Ses traces hantent toute l’Europe, jusque dans des lieux inattendus. Ses conquêtes, son règne et son personnage hors du commun ont très vite inspiré les artistes, à commencer par Beethoven ou Victor Hugo.

Au fil des décennies, la légende de Napoléon n’a fait que croître. Les oeuvres qu’elle a inspirées aussi. Combien au juste de peintres, écrivains, musiciens, cinéastes… se sont frottés au mythe ? La fascination pour le mythe napoléonien est intacte aujourd’hui, comme en témoignent le film de Ridley Scott et les commentaires qu’il suscite.

Et ce n’est pas fini. Steven Spielberg travaille sur l’adaptation en minisérie d’un scénario que Kubrick a écrit dans les années 60 et qu’il n’est pas parvenu à réaliser. Nul doute que les fantômes de Napoléon nous hanteront encore longtemps.