Quoi ? Les statues antiques étaient peintes ? C’est ce que j’ai découvert en visitant l’exposition L’Antiquité en couleur au Musée Gallo-Romain de Tongres. Et c’est toute notre vision de l’art antique qui est remise en question.
Une exposition fascinante et dérangeante
Il y avait longtemps qu’une exposition ne m’avait pas autant perturbé. Cet été, j’ai visité l’exposition L’Antiquité en couleur au Musée Gallo-Romain de Tongres. Je ne m’attendais pas vraiment à ce que j’allais y découvrir et aux implications !
Les statues en marbre et en bronze greco-romaines qui ont traversé le temps étaient à l’origine peintes de couleurs vives. Sur base de traces et de documents, deux archéologues ont tenté de reconstituer ces peintures qui les recouvraient. Et le moins qu’on puisse dire, ces reconstitutions présentées dans cette expo sont aussi fascinantes que dérangeantes…
Le marbre, un idéal ?
Lorsqu’on pense aux statues grecques et romaines, c’est l’image de marbres immaculés qui vient à l’esprit. La Vénus de Milo, le Laocoon, l’Hercule Farnèse… Autant d’exemples célèbres de chefs-d’oeuvres antiques qui renvoient l’image d’un marbre blanc, immaculé.
Les artistes de la Renaissance ont largement amplifié cette conception des marbres monochromes. On peut voir ainsi au Musée du Louvre de magnifiques exemples du talent de ces sculpteurs, comme Michel-Ange ou Canova.
Cette vision des marbres à la blancheur éclatante s’est perpétuée jusqu’à aujourd’hui. Rodin, Camille Claudel, Pompon… autant d’artistes qui ont sublimé le marbre dans leur sculptures.

Une vision fausse de la sculpture antique ?
Pourtant, cette image bien ancrée de l’art antique est fausse. Les sculptures antiques n’étaient pas monochromes. Les marbres et même les bronzes grecs et romains étaient recouverts de peinture. Mais le temps a fait son oeuvre. La couleur n’a pas résisté au passage des siècles.
De nombreuses statues conservent néanmoins des traces de leur polychromie. Des documents écrits témoignent aussi de l’aspect des sculptures (mais aussi des architectures) gréco-romaines. Le développement de techniques d’analyse, comme les lampes à infrarouge ou à ultraviolets, ont aussi permis de révéler des traces de pigments invisibles à l’oeil nu.

Repeindre les statues antiques ?
Un archéologue allemand, le professeur Vinzenz Brinkmann, a consacré une grande partie de sa vie à la polychromie des statues antiques. Aidé de sa femme, Ulrike Koch-Brinkamnn, il a cherché à rendre leurs couleurs aux statues grecques. Ils se sont appuyés sur les données scientifiques et les témoignages, pour réaliser des dizaines de reconstitutions grandeur nature en utilisant les techniques et les pigments d’époque.
Leurs reconstitutions hautes en couleur ont été exposées dans les plus grands musées d’Europe, sous le nom Gods in Color. Et elles étaient au coeur de l’exposition l’Antiquité en couleur au Musée Gallo-Romain de Tongres.

L’Antiquité en couleur
L’exposition L’Antiquité en couleur débutait par une installation vidéo qui montre à quel point l’image des marbres blancs et des statues s’est imposée dans notre imaginaire.
De la sculpture à la peinture
Avant de dévoiler les sculptures en couleur du Dr Brinkmann, l’expo s’attardait sur le travail du sculpteur. De l’extraction du bloc de marbre à la statue finale, c’était un long et patient labeur qui pouvait prendre plusieurs mois. Il fallait d’abord dégrossir le bloc de pierre pour en faire émerger petit à petit la sculpture. Quelques vitrines documentaient ce travail en montrant notamment les outils rudimentaires dont disposaient les artistes de cette époque.
Quand le sculpteur avait terminé son oeuvre, la statue n’était pas achevée pour autant. C’est alors qu’entrait en scène le peintre qui, en quelque sorte, donnait vie à la sculpture avec ses couleurs. Contrairement au travail de sculpture, qui pouvait prendre des mois, cette étape était réalisée rapidement.
Quelques vitrines présentaient les différents pigments dont disposaient les artistes. Souvent réalisés à base de minerais broyés, ils avaient parfois des noms poétiques (bleu égyptien). Ces pigments en poudre étaient appliqués sur la pierre grâce à un liant, à base d’eau ou d’oeuf.

Des reconstitutions contestées ?
Après cette entrée en matière, place aux reconstitutions ! La scénographie de l’exposition présentait les reconstitutions à côté des oeuvres originales (souvent des copies).
Le résultat du travail du couple Brinkmann est vraiment déstabilisant. Parfois c’est très réussi. On a l’impression que la statue peinte prend vie. Quelques touches de peinture transforment le regard et l’expression de ces visages de marbre. Les yeux aveugles s’animent. Les couleurs font aussi ressortir des détails des vêtements ou des parures.
Certaines statues retrouvent aussi des éléments de décoration en métal (couronnes ou bijoux) qui avaient disparu au cours du temps.
Souvent, en revanche, les couleurs viennent ruiner la beauté de l’oeuvre. La peinture fait alors l’effet d’un mauvais coloriage, criard et un peu vulgaire. On a parfois aussi l’impression que ces chefs-d’oeuvre antique ont été revisités par un artiste du Pop Art. À moins que les statues n’aient été peintes par un enfant qui découvrait sa boîte de peinture…
Des spécialistes ont critiqué ces aplats et ces couleurs criardes. La plupart du temps, les choix chromatiques m’ont laissé perplexe. Lors de mes voyages en Italie, j’ai pu admirer la maîtrise de la peinture par les Grecs et les Romains.

L’art de la peinture antique
Lorsqu’on visite Pompéi ou Herculanum, on découvre de nombreux exemples qui montrent que les Romains maîtrisaient la peinture. Ils pouvaient peindre avec nuance et subtilité. Certaines fresques des villas (comme celles de la Villa des Mystères) sont magnifiques. Et même quand les peintures étaient de moins bonne qualité, les couleurs n’étaient pas criardes comme celles de ces reconstitutions.
À Paestum, près de Naples, les fresques de la Tombe du plongeur témoignent de la maîtrise picturale des artistes grecs.

Des bronzes peints ?
L’exposition L’Antiquité en couleur se terminait par une série de bronzes impressionnants revisités par les Brinkmann. J’ai été moins perturbé par ces reconstitutions. La plupart de ces statues antiques en bronze ont rarement bien traversé le temps. Beaucoup ont été détruites. Certaines ont été fondues. Celles qui restent ont beaucoup perdu de leur superbe.
Le couple Brinkmann a rendu un regard à ces statues d’athlètes et de guerriers. Le deux archéologues ont aussi travaillé sur des détails rajoutant des gouttes de sang ou de sueur. On a presque l’impression que ces statues sont vivantes.

Une vision à préciser ?
Rendre des couleurs aux statues antiques bouleverse notre vision de l’art gréco-romain. Les reconstitutions présentées à Tongres dans l’exposition L’Antiquité en couleur nous faisait voir ces oeuvres vieilles parfois de 2500 ans sous un jour nouveau.
Pourtant, si j’ai aimé le concept derrière l’exposition, le résultat des reconstitutions m’a laissé perplexe. Je n’ai pas été convaincu par la qualité de la peinture, par les couleurs trop criardes et sans nuances. Et souvent, les couleurs venaient gâcher le travail du sculpteur.
Le développement des technologies et de nouvelles découvertes viendront probablement préciser et améliorer ce ravail de reconstitution imparfait.

Infos pratiques
L’exposition L’Antiquité en couleur se déroulait au Musée Gallo-Romain de Tongres jusqu’au 1er septembre 2024.
Les reconstitutions des Brinkmann ont déjà beaucoup tourné en Europe. Il est possible qu’elles soient exposées dans un musée proche de chez vous.

Tongres et le Musée Gallo-Romain
Si vous passez par Tongres, le Musée Gallo-Romain mérite le détour. Tongres est considérée comme une des plus anciennes villes de Belgique. C’était d’abord la capitale des Éburons, une tribu belge probablement d’origine celtique. Leur roi Ambiorix a donné beaucoup de fil à retordre à Jules César, lors de la Guerre des Gaules. Cette résistance vaillante contre l’envahisseur romain lui a valu, bien des siècles plus tard, de devenir un des héros fondateurs de l’histoire de la Belgique. Et une statue en bronze (non peinte !) sur la grand place de Tongres.
Après la défaite des Éburons, Tongres est devenue colonie romaine sous le nom de Atuatuca Tungrorum. C’est la capitale d’une importante province gallo-romaine. Plus tard, elle sera incorporée à la Principauté de Liège.
Avec sa scénographie aérée et moderne, adaptée aux enfants, le Musée Gallo-Romain retrace cette histoire mouvementée. Il tente aussi de montrer comment vivaient les Romains et les Gaulois.

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En effet, je l’avais appris dans une émission voici quelques années, et il est vrai que ça m’avait étonné !
La tradition belge dit qu’elles ont été peintes par El Greco (pour info : Domínikos Theotokópoulos, dit le Greco, né le 1ᵉʳ octobre 1541 à Candie en Crète et mort le 7 avril 1614 à Tolède, est un peintre, sculpteur et architecte qui fut principalement actif en Espagne. Il est considéré comme le peintre fondateur de l’École espagnole du XVIᵉ siècle.)
Donc, je confirme : les Belges ont de l’humour!
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Découverte très intéressante. Je n’avais pas entendu parler de ce sujet.
Il est vrai que nous connaissons les peintures murales dans les églises et chapelles, mais c’était au Moyen-Age.
D’un autre côté, je suis à peine étonnée, connaissant le côté artistique des Grecs et Romains, par la beauté de leurs statues, bas-reliefs, monuments, etc…
J’espère que cette exposition sera programmée par ici, j’ai hâte de la voir.
Merci pour cet article fort bien documenté.
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Et visiblement, des parties des églises étaient en couleur aussi (colonnes, statues…). Mais ceci est un autre sujet…
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Très intéressant, j’avais visiter une abbaye où il y avait une statue dont il restait des traces de peinture, c’était déjà impressionnant ! 🙂
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