Le dernier article expliquait pourquoi Shining de Kubrick est un film culte et pourquoi j’ai voulu l’illustrer et dessiner un poster alternatif. Si on revenait sur la création de l’affiche ? Il y a des projets qui se déroulent de façon fluide, du concept initial au résultat final, comme le dessin de cette couverture de livre. D’autres suivent un cours plus tortueux, serpentant à travers des obstacles, des bifurcations et des embranchements. C’était le cas du projet Napoléon-Waterloo. C’est aussi le cas de ce projet personnel d’affiche alternative.
Etape 1 : Premier concept
Au commencement, il y a cette idée rapidement esquissée dans mon carnet de poche, celui que j’emporte partout. C’est ce dessin qui déclenche tout. Il synthétise des éléments qui m’ont marqué dans le film : Jack Torrance sous les traits de Jack Nicholson, les deux soeurs Grady (contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas des jumelles), la hache, le sang qui se déverse de l’ascenseur et la présence maléfique de l’hôtel Overlook, personnifiée par les portes de l’ascenseur, qui ressemblent à une gueule béante.

Etape 2 : Etudes
Après ce premier dessin sommaire, je réalise quelques études au crayon plus détaillées, en plus grand format. En me basant sur des photos trouvées sur Google, et sur mes souvenirs du film, je me focalise sur Jack et les soeurs, en vue de les vectoriser dans Adobe Illustrator. Je ne cherche pas un dessin trop léché puisque tout va être recréé sur ordinateur.

Etape 3 : Vectorisation des éléments
J’importe alors ces dessins et vectorise les 3 éléments séparément dans Illustrator : Jack, les soeurs et l’ascenseur. J’assemble alors ces différents éléments dans une première composition, basée sur mon concept initial. Jusqu’ici tout va bien. Tout s’est déroulé rapidement.
C’est ici que le projet commence à dérailler.
Je ne suis pas satisfait de cette composition. J’aime les éléments pris séparément, mais une fois assemblés, le résultat ne correspond pas à l’image que j’imaginais au départ. Intuitivement, je sens que la composition ne fonctionne pas et n’est pas raccord avec l’ambiance du film.
Je décide alors de mettre le projet au frigo, de prendre du recul et de l’oublier quelques temps.

Etape 4 : Mise au frigo
Laisser reposer et prendre du recul sur un dessin en cours est une bonne pratique. Cette pause permet souvent de mieux voir les erreurs et d’avoir un regard neuf. Il est déconseillé par contre de laisser trop reposer.
C’est ce qui est arrivé avec ce projet Shining. Pris par d’autres illustrations, j’ai laissé s’écouler plusieurs semaines avant de rouvrir mon document Illustrator. J’ai très vite vu ce qui clochait, mais le dessin était devenu « froid ».
J’ai compris alors que la composition ne fonctionnait pas parce qu’elle était beaucoup trop sage. Il n’y avait pas de tension entre les différents éléments et la profondeur laissait à désirer. La symétrie, intéressante dans l’absolu, était déplacée par rapport à la violence et l’horreur présentes dans le film
Dessiner les éléments séparément était une erreur. C’était la première fois que je procédais de la sorte. D’habitude, je réalise un dessin détaillé au crayon et/ou à l’encre de l’ensemble de la composition, puis je l’importe dans le logiciel. J’ai voulu gagner du temps en travaillant par éléments séparés, mais l’intégration ne me plaît pas.

Comme j’ai laissé le projet refroidir trop longtemps, j’ai un peu perdu l’impulsion du début. Je comprends ce qui ne fonctionne pas, mais j’ai du mal à retrouver l’inspiration et l’élan pour sortir de l’ornière et finaliser l’illustration.
J’ai beau essayer d’autres façons d’agencer les éléments et d’autres combinaisons de couleurs, je n’arrive pas à obtenir un dessin qui me plaise vraiment.
Je revois même le film, pour nourrir mon inspiration, ma créativité et mon imagination. Je retombe sous le pouvoir ténébreux de l’Overlook et du Shining, sans arriver à débloquer la situation.
A ce point, j’hésite à abandonner complètement le projet.
Etape 5 : La variante Danny
Comme le projet me tient à coeur et que j’aime les éléments séparés, je me refuse à tout jeter. Pour redémarrer la machine créative, je pars dans une toute autre voie.
Je recommence à zéro et réalise une variante alternative du poster, autour du personnage de Danny Torrance, le jeune fils de Jack. Je m’inspire d’un plan du film qui montre le visage de Jack en gros plan, terrifié. Je réalise un dessin à l’encre que je transforme et finalise avec Illustrator.
L’approche est beaucoup plus abstraite, inspirée par les anciennes affiches de cinéma soviétiques.
Cette version est réalisée facilement et me permet de retrouver l’énergie et la confiance nécessaires pour achever le projet.

Etape 6 : restructuration
Après avoir refait quelques croquis au crayon, je décide de revoir ma composition et de resserrer le cadrage sur Jack. J’enlève tous les éléments qui me paraissent superflus. Il n’y a plus que Jack et sa hache, en plan rapproché, au centre du dessin. Je rajoute en avant-plan des formes qui rappellent le bois déchiqueté de la porte de la salle de bain, la scène culte de la fin du film. Comme je suis un peu triste d’abandonner les deux fillettes, je décide de faire un rappel aux deux soeurs dans les taches de sang sur la hache.
Je suis arrivé au bout du chemin. Je décide de m’arrêter là. L’affiche ne résume pas le film, moins en tout cas que le projet initial, mais j’y retrouve la tension, le mystère, la folie latente ressentis à la vision du film.

Etape 7 : le variant Grady
En écrivant l’article sur Shining, j’ai eu envie d’intégrer une illustration des soeurs Grady. Elles n’ont qu’un rôle secondaire dans le film, mais leurs brèves apparitions ont un impact maximal. J’ai donc rouvert mon fichier Illustrator pour reprendre et affiner le dessin. En travaillant sur l’illustration, il m’a semblé qu’elle ferait un poster minimaliste sympa.
Actuellement, c’est peut-être la version que je préfère. L’illustration n’est pas tout à fait représentative du film, sans doute un peu anecdotique, mais elle aussi pleine de mystère.

Epilogue : un film, plein de possibilités
Quand on travaille sur l’illustration d’un film (ou d’un livre ou d’un disque), il n’y a pas une seule façon d’envisager le travail. LA bonne façon, LA bonne idée. Il y en a une multitude. Autant de pistes et de possibilités à suivre selon qu’on se focalise sur une scène, des personnages, un objet, une idée.
Certaines affiches tentent de résumer tout le film en une seule image. D’autres se veulent plus allusives, ne dévoilant qu’une scène ou un élément représentatif du film. D’autres encore, les plus audacieuses, jouent la carte du mystère, ne dévoilent rien du film.
La personnalité et le style de l’illustrateur, les techniques utilisées feront qu’une même idée de départ aboutira à des illustrations totalement différentes.
Dans le cas de cette affiche alternative de Shining, comme ce n’était pas un travail de commande, mais un projet personnel, j’ai pris le temps de développer l’illustration. J’ai exploré de nouvelles voies et testé de nouvelles façons de travailler. J’ai fait fausse route. En rebroussant chemin, j’ai découvert une voie de traverse et même, finalement, un passage secret tout à fait inattendu.
J’étais parti pour réaliser une affiche, j’en ai finalement dessiné trois, différentes du projet initial (sans compter les états intermédiaires inachevés). Trois affiches qui partagent la même technique (l’illustration vectorielle), mais sont très différentes en terme de style et de conception.
Je n’en ai peut-être pas terminé avec Shining. Un jour, peut-être, je reviendrai vers l’Overlook et donnerai vie à mon idée initiale. En attendant, en route vers l’illustration de nouveaux films cultes…
N’hésite pas à me dire en commentaire quelle version de l’affiche tu préfères.
Bravo pour ta pugnacité et tes remises en question. Quel boulot. Et le résultat est très réussi je trouve sur les trois affiches. Ma préférée est celle avec Jack Nicholson !🌞
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