Une expo et un bouquin pour les 77 ans du Journal Tintin

En 2023, Le Journal Tintin aurait fêté ses 77 ans. Une date symbolique, pour cet hebdomadaire de bande dessinée qui s’adressait aux « jeunes de 7 à 77 ans« . Pour marquer le coup, le Musée de la BD à Bruxelles consacre une exposition aux éditions du Lombard et à son créateur, Raymond Leblanc. En parallèle, des auteurs et autrices d’aujourd’hui rendent hommages aux auteurs d’hier et à leurs personnages, dans un numéro spécial du Journal Tintin.

Quelques semaines après avoir fêté les 100 ans de Dupuis à Charleroi, l’éditeur de Spirou, qui fut le grand rival de Tintin, nous étions donc de retour à Bruxelles pour célébrer cet anniversaire très spécial.

Le Lombard : une affaire de famille

Je ne vous présenterai pas à nouveau le Musée de la BD à Bruxelles. Installé dans un ancien grand magasin Art Nouveau signé Victor Horta, c’est un des plus beaux musées de la capitale belge. On y raconte l’histoire de la BD franco-belge et les différentes étapes de création d’une bande dessinée à travers notamment une belle collection de planches originales. Pour des raisons de conservation, la sélection de dessins et de planches exposées change régulièrement. Chaque visite réserve donc son lot de surprises et de découvertes. D’autant plus que le musée organise régulièrement des expositions temporaires, qui mettent en lumière un auteur, un album, un thème, une collection ou, comme cette fois, une maison d’édition.

Pour raconter l’histoire passionnante des éditions du Lombard, et du Journal Tintin, le musée a fait appel à Thierry Bellefroid. Ce journaliste, grand connaisseur de la BD belge, n’est pas à son coup d’essai. Il a déjà travaillé sur de nombreuses expositions. Il collabore ici avec Johan De Moor, le fils de Bob de Moor, un des proches collaborateurs d’Hergé. Ensemble, ils ont conçu une exposition ludique, adaptée aux parents et à leurs enfants.

Ils ont imaginé une maison en kit, stylisée et colorée, dont chaque pièce raconte, de façon thématique plus que chronologique, un aspect des éditions du Lombard. À côté des vitrines, le décor recèle de nombreux tiroirs et armoires, que les visiteurs sont invités à ouvrir pour découvrir des surprises : dessins, planches originales, objets…

Les premières salles sont consacrées au Journal Tintin, à ses auteurs et ses héros. Puis l’exposition déborde du cadre de l’hebdomadaire et montre comment le Lombard a survécu à la fin du Journal Tintin.

Ric Hochet, une des stars de l'expo "Le Lombard : une affaire de famille" au Musée de la BD à Bruxelles
Les tiroirs cachés dans l’expo recèlent des trésors…

Raymond Leblanc, éditeur visionnaire ?

En 1944, le jeune Raymond Leblanc fonde avec deux amis les éditions du Lombard (du nom de la rue dans laquelle sont situés leurs bureaux). Il convainc Hergé de devenir le directeur artistique d’un nouveau journal pour enfants. Le premier numéro du Journal Tintin paraît le 26 septembre 1946 en Belgique. Il ne comporte que 12 pages, mais c’est un succès immédiat. Les 60 000 exemplaires sont vendus en quelques jours. Tintin a les honneurs de la couverture, mais débutent aussi dans ce numéro deux futures stars de la BD belge : Corentin de Paul Cuvelier et Blake et Mortimer de E.P. Jacobs.

Très vite, Leblanc voit grand. Il coédite avec l’éditeur parisien Georges Dargaud une version française de l’hebdomadaire, qui tire à 350 000 exemplaires. Dès 1950, les éditions du Lombard publient en albums les héros les plus populaires de l’hebdomadaire, à l’exception de Tintin, publié chez Casterman encore aujourd’hui. En 1954, Leblanc fonde également l’agence de pub Publiart et les studios Belvision, pour exploiter à la télévision et en publicité le succès des personnages de BD belges.

Le vaisselier des héros à l'expo "Le Lombard : une affaire de famille" au Musée de la BD à Bruxelles

L’incroyable aventure du Journal Tintin

Au fil des décennies, le Journal Tintin se développe. Le nombre de pages se multiplie. Plusieurs générations de héros naissent dans les pages de l’hebdomadaire : Alix et Lefranc (Jacques Martin), Chick Bill et Ric Hochet (Tibet), Chlorophylle et Clifton (Raymon Macherot), Michel Vaillant (Jean Graton), Modeste et Pompon (Franquin et Goscinny), Cubitus (Dupa), Bruno Brazil (William Vance), Bernard Prince et Comanche (Hermann), Luc Orient (Eddy Paape), Buddy Longway (Derib), Jonathan (Cosey), Thorgal (Rosinski et Van Hamme)…

Le parcours de l’expo met en lumière les stars, ces séries et personnages qui brillent encore aujourd’hui dans les rayons des librairies. Il rappelle aussi que le Journal Tintin était un laboratoire, où de grands auteurs et dessinateurs ont débuté, ont fait leurs premières armes, ont créé des héros éphémères qui n’ont jamais eu la chance d’être publiés en album ou qui n’ont jamais vraiment connu le succès.

Au début, Hergé impose son style graphique, la ligne claire, auxquels tous les dessinateurs doivent se conformer. On parle de hergémonie pour qualifier cette ligne artistique rigide et intransigeante, dont se sentent prisonniers certains auteurs. Au fil du temps, Hergé va s’éloigner peu à peu du journal.

Avec le rival Spirou, publié par Dupuis, le Journal Tintin et les éditions du Lombard redéfinissent le paysage de la bande dessinée européenne. Pendant les années 50, sans réels concurrents, Spirou et Tintin, se partagent les dessinateurs et les lecteurs. Les deux journaux ont conclu un pacte de non agression. Il y a quelques coups d’éclat. Les « gros nez » de Spirou se moquent volontiers du style un peu raide de Tintin. Des transfuges passent de l’une à l’autre maison par affinité ou par opportunité. Franquin, fâché sur Dupuis, quitte momentanément Spirou pour créer Modeste et Pompon avec Goscinny dans Tintin.

Au début des sixties, le journal Pilote vient bousculer le règne de Spirou et Tintin. Astérix le gaulois vient faire de l’ombre au groom et au reporter. Il ouvre la voie à une nouvelle génération d’auteurs et d’autres styles. Quand Greg devient rédacteur en chef, au milieu des années 60, il installe une nouvelle génération de dessinateurs et de personnages, plus débraillés, plus réalistes aussi, qui viennent brouiller la ligne claire initiale.

Dans Tintin, Hermann, Vance, Dany, Paape, sur des scénarios de Greg, font souffler un vent de modernité. Cette nouvelle vague, plus réaliste se prolonge après le départ de Greg, avec l’arrivée notamment de Jonathan et de Thorgal.

Dans les années 80, les ventes du Journal Tintin s’étiolent. La mort d’Hergé en 1983 va précipiter sa fin. En 1988, ses ayants-droits lancent, avec la complicité d’un autre éditeur, Tintin reporter, un nouveau journal qui disparaît après 9 mois. Le Lombard relance en 1989 un nouvel hebdomadaire, Hello BD, qui n’atteindra jamais ses objectifs et qui disparaît à son tour en 1993.

Jonathan, un héros moderne, à l'expo "Le Lombard : une affaire de famille" au Musée de la BD à Bruxelles
Jonathan de Cosey, un héros hippie déboule dans Tintin…

Le second souffle du Lombard

Les éditions du Lombard survivent à la chute du Journal Tintin. En 1986, Raymond Leblanc les cède au groupe Média Participations, qui possède aujourd’hui également Dupuis et Dargaud. La maison d’édition est rebaptisée plus simplement en Le Lombard.

Le Lombard édite toujours quelques-uns des héros qui ont fait sa gloire, dont Thorgal, Jonathan ou Léonard. Mais à côté de cet extraordinaire patrimoine, il continue à aller de l’avant. La collection Signé accueille des romans graphiques signés d’auteurs prestigieux, tandis que la collection Troisième Vague met en avant des récits où l’action domine. Elle a aussi misé sur de nouveaux auteurs.

Une trop grande histoire

Comment résumer une histoire aussi riche et rendre justice à tant d’auteurs et de personnages en un seule exposition ? Les concepteurs s’en tirent plutôt bien, malgré l’absence assez incompréhensible de Tintin ou d’Alix, à peine évoqués.

En sortant de l’expo, nous espérions trouver dans la boutique du musée un catalogue qui prolongerait notre visite et raconterait plus en détail l’histoire passionnante de cette aventure éditoriale. Plutôt que d’éditer un tel livre, Le Lombard a préféré publier, avec les éditions Moulinsart, un numéro spécial du Journal Tintin. En le feuilletant, nous sommes d’abord un peu déçus par cet étrange objet éditorial.

Hommage de Johan De Moor à la Marque jaune et Jacobs, à l'expo Lombard à Bruxelles
Hommage à Jacobs et à la Marque jaune – Un des easter eggs graphiques imaginés par Johan De Moor

Le numéro anniversaire du Journal Tintin

La couverture de ce numéro spécial 77 ans annonce un « hommage des auteurs et autrices d’aujourd’hui aux personnages mythiques du journal Tintin« , à travers plus de 300 pages de BD.

L’argumentaire est un peu trompeur, puisque parmi les jeunes auteurs se sont glissés des vétérans de l’histoire du journal, comme Derib, Cosey, Hermann ou Van Hamme. Certains reprennent leurs propres personnages, d’autres rendent hommage à ceux des amis.

Malgré l’expression de surprise de Tintin sur la couverture, ne vous attendez pas à lire de reprises du célèbre reporter d’Hergé. Tintin est mis à l’honneur sur 30 pages au début du livre. Daniel Couvreur y explique pourquoi Tintin est si culte, et pourquoi il est impensable de donner suite à ses aventures. Puis, des personnalités de tous horizons commentent une série de cases de légendes issues des albums de Tintin. Mais aucun des auteurs invités dans ce livre anniversaire n’a été autorisé à toucher à la houppe du reporter, même pour un hommage fugace.

Numéro spécial 77 ans du journal Tintin : un livre à lire ? (illustration)

Ce numéro spécial anniversaire ne raconte guère l’histoire du Journal Tintin. Ce sont les hommages en BD à ses héros qui occupent l’essentiel du volume. Un peu cachés au milieu de ces pages de bande dessinée, trois articles reviennent rapidement sur l’aventure du journal, sur l’épopée des femmes (tant autrices que les héroïnes) et sur la multiplication des genres, qui ont entraîné les lecteurs du western à la science-fiction. On reste d’abord sur notre faim.

Après une lecture plus approfondie, la déception s’est estompée. Même si le format choisi est plus celui d’un livre-hommage que celui d’un numéro spécial, la qualité est au rendez-vous dans les pages de BD. Les hommages, tantôt fidèles et sérieux, tantôt parodiques ou décalés, partent parfois un peu dans toutes directions, mais c’est un plaisir de revoir ces héros mythiques. Certains ne nous ont jamais quittés. Nous en avions oublié d’autres. Et même si nous aurions aimé avoir plus d’infos sur l’histoire et les créateurs du journal Tintin, à leur façon ces hommages racontent tellement de choses.

Retour en enfance

Au final, l’expo et surtout le livre m’ont replongé en enfance. Ils ont fait remonter à la surface des souvenirs profondément enfouis. Celui de plonger chaque semaine dans les pages de Tintin ou de Spirou, dans ce monde de papier, ces histoires fantastiques faites de bulles, de cases, de traits et de couleurs. De devoir attendre toute une semaine pour avoir la suite de l’histoire.

Remonte aussi le souvenir profondément précieux aussi de fouiller la collection de mon père, qui prenait la poussière dans sa chambre d’enfance dans la maison de ma grand-mère. De dénicher ses vieux recueils Spirou ou Tintin, et surtout ses vieux albums des éditions du Lombard, avec leurs dos en toile rouge. Les Blake et Mortimer en particulier me fascinaient. J’ouvrais le livre et la réalité pluvieuse s’effaçait remplacée par le désert égyptien ou le fog londonien.

Aujourd’hui, c’est ce plaisir enfantin et carrément magique que l’on retrouve en explorant cette expo et ce livre.

Infos pratiques

L’expo Le Lombard : une affaire de famille au Musée de la BD à Bruxelles est ouverte jusqu’au 25/08/2024.

Le Numéro spécial 77 ans du journal Tintin est disponible au prix de 29.9 € sur le site du Lombard.


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5 commentaires sur “Une expo et un bouquin pour les 77 ans du Journal Tintin

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  1. Tintin tintinnabule encore dans les bulles (phylactères). Et le capitaine Haddock fume toujours sa pipe en jurant « bachi (couvre chef des marins avec pompon rouge)-bouzouk (Un corps irrégulier de l’armée française, les spahis d’Orient, a existé brièvement durant la guerre de Crimée. (au XVIIIe siècle). Indisciplinés, on les a parfois surnommés bachi-bouzouks.

    Bonne soirée !

    Aimé par 1 personne

  2. Belle expo tout de même ! Au musée de la BD à Angoulême, il y a également un expo temporaire sur le journal Tintin, plus petite, mais elle retrace l’histoire du journal et met en avant quelques héros de BD qui s’y sont retrouvés ! 🙂

    Aimé par 1 personne

    1. Oui belle expo, c’est juste qu’il y a trop de matière… 😉 On n’a pas beaucoup parlé ici en Belgique de cette expo à Angoulème. Elle a commencé au moment du festival ?

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