Une semaine avant le confinement, nous avons passé un week-end en amoureux à Bruxelles. Le temps était mauvais. Nous en avons donc profité pour visiter deux expositions, sans nous douter un instant que c’était notre dernière sortie culturelle avant un long moment.
Nous sommes arrivés à Bruxelles sans un programme établi, bien décidés à concocter notre menu en fonction de l’humeur et de la météo. En consultant la liste des expositions, quand j’ai vu les mots « superheroes » et « comics« , je savais par quelle exposition je voulais commencer…
La description de l’expo Superheroes Never Die. Comics and Jewish Memories au Musée juif de Belgique était alléchante : raconter « comment la bande dessinée américaine s’entremêle, depuis ses débuts et jusqu’à aujourd’hui, aux tumultes de l’Histoire« . Un fameux défi, seulement partiellement réussi.
L’âge d’or des super-héros
J’ai apprécié particulièrement le début de l’exposition. Après une première salle consacrée à la naissance des comic strips, qui paraissaient dans les journaux, la salle principale de l’exposition montre comment une génération de dessinateurs juifs américains ont créé les plus célèbres super-héros : Superman, Batman, Captain America, Spiderman, Hulk,…
Le thème est illustré par des panneaux, des exemplaires de journaux ou de comic books et (c’est le plus intéressant) par des planches originales. Deux créateurs sont mis en avant : Jack Kirby et Stan Lee.

Jack Kirby, maître du noir et blanc
Le parcours du dessinateur Jack Kirby (alias Jacob Kurtzberg) est assez incroyable. Après avoir créé en 1940 le personnage de Captain America avec Joe Simon, il donnera vie avec Stan Lee aux personnages emblématiques de Marvel dans les années 60 : Fantastic Four (les 4 Fantastiques), les X-Men, Thor, Hulk, ou Iron Man.

C’est un vrai plaisir de découvrir les planches originales de Kirby. Dépouillées des couleurs criardes des impressions d’époque, la puissance et l’énergie de son trait se révèlent. Ce maître du noir et blanc se distingue par le dynamisme et l’expressivité de ces compositions.

Stan Lee, créateur de super-héros
On ne présente plus Stan Lee (alias Stanley Martin Lieber). On lui doit la création des principales stars de l’écurie Marvel dont Spiderman, Black Panther, Daredevil,… Des super-héros qui ont résisté au temps et font aujourd’hui un carton au cinéma. Il a révolutionné les comics de l’époque avec des récits à la structure plus adulte et des personnages plus complexes, qui sont confrontés à des problèmes personnels.

Will Eisner, père du roman graphique
Le parcours se focalise ensuite sur Will Eisner. Moins connu du grand public, Eisner est en effet un créateur majeurs des comics US. Il est le créateur du Spirit, un héros plus sombre et plus complexe que Superman ou Batman.

Les planches d’Eisner démontrent une époustouflante maîtrise du noir et blanc.

A la fin des années 70, Eisner se tourne vers le récit autobiographique avec A Contract With God et invente le terme « roman graphique ». Il continue à explorer les possibilités de ce format, plus long et plus complexe, jusqu’à sa mort.

Harvey Kurtzman is Mad
La suite de l’exposition se déroule à l’étage. Dans la cage d’escalier, on découvre une évocation du magazine satirique Mad », fondé par Harvey Kurtzman.


Une brève parenthèse humoristique avant une salle consacrée à la représentation de la Shoah en bande dessinée.
Art Spiegelman
C’est évidemment Art Spiegelman qui est mis à l’honneur dans cette salle. Avec son roman graphique Maus, où il raconte la déportation de son père dans un camp de concentration, il a montré que la bande dessinée n’était pas un art mineur réservé aux enfants et aux adolescents, et qu’elle pouvait aborder des sujets complexes et adultes d’une façon sensible et digne. Ce livre est novateur sur le plan graphique et narratif. Représentant les nazis par des chats et les juifs par des souris, il entremêle la « grande histoire » (l’Holocauste) avec l’histoire intime des relations compliquées de l’auteur avec son père. A lire absolument.
L’oeuvre de Spiegelman est confrontée à d’autres auteurs qui ont évoqué la Shoah dans leurs bandes dessinées. Inspirée par Maus, Miriam Katin plonge dans ses souvenirs et raconte comment sa mère et elle ont survécu à la guerre en Hongrie dans son roman graphique We are on our own (Seules contre tous), avec un trait tout en fragilité et délicatesse.
Aline Kominsky-Crumb, autrice underground
Avec Spiegelman, on est loin des super-héros. La salle suivante évoque la culture underground et ses anti-héros à travers une sélection d’oeuvres de Harvey Pekar ou Aline Kominsky-Crumb.

Les super-héros ne meurent jamais
Retour aux super-héros dans les dernières salles, qui illustrent de façon un peu brouillonne l’évolution du genre, qui s’ouvre à la représentation de thèmes plus sensibles et adultes comme la sexualité, la religion, les minorités raciales ou l’homosexualité.
Des oeuvres comme Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons déconstruisent les codes et les stéréotypes liés aux super-héros et se sont imposées comme des oeuvres majeures de la bande dessinée. Dommage que l’exposition n’en propose qu’une évocation, dénuée de planches originales.

Les thèmes et les oeuvres abordés dans cette partie sont intéressants, mais le manque des pièces marquantes pour les illustrer se fait sentir. C’est sur ce bémol que s’achève l’exposition.
Le mot de la fin
L’exposition Superheroes Never Dies prouve en images que la bande dessinée est un mode d’expression riche et varié qui va bien au-delà de l’image de super-héros en collants et d’histoires simplistes aux couleurs criardes. Les créateurs ont puisé dans leur culture, leur passé, leur vécu, leur aspirations et leurs angoisses pour nourrir leurs récits et donner chair à leurs personnages.
J’ai apprécié comment l’exposition illustre la naissance et le développement des super-héros, puis la façon dont certains créateurs se sont détournés des capes et des collants pour proposer des récits (autobiographiques ou non) plus denses et plus complexes sous forme de romans graphiques. Mention spéciale aussi à la scénographie de l’exposition qui exploite ingénieusement l’espace d’exposition.
Même si la fin du parcours est décevante, la visite vaut le détour si vous êtes un amateur de comics (rien que pour admirer les planches de Kirby) ou si vous êtes simplement curieux de découvrir l’évolution de ce type de récits. N’hésitez pas donc pas d’y faire un tour si vous passez par Bruxelles après le déconfinement (l’exposition est prolongée jusqu’au 26 août 2020).
God damned ! j’espère que le 26 août ils auront (les super héros) dégommé le virus, que je puisse retourner à Bruxelles (et Anvers aussi). Vas-y, indique leur l’arme fatale, Gildéric! on est tous avec toi!
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Intéressant ! L’expo à l’air bien, parce que des expos sur les supers héros il y en a souvent et partout. J’en avais vu une à la cité art ludique à Paris, c’était pas mal, mais sans plus, le parcours était assez chronologique, mais c’était plus la mise en scène qui m’avait moins plu. 🙂
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J’ai vu l’exposition dont tu parles. Elle m’avait plus et je l’ai chroniquée ici :https://gilderic.wordpress.com/2017/05/02/art-dc-comics-expo-super-heros/ . Elle était fort copieuse, mais se concentrait plus sur le rapport entre les comics et les adaptations ciné, si ma mémoire est bonne. Ce qui est vraiment intéressant dans l’expo à bruxelles c’est qu’elle montre l’importance de la culture, du statut des dessinateurs et du contexte dans la création de ces super-héros.
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