Miyazaki vs OpenAI : l’IA va-t-elle tuer les artistes et créateurs ?

Fin mars 2025, Open AI dévoilait sa nouvelle Intelligence Artificielle graphique intégrée à Chat GPT. Pour l’annoncer, son big boss, Sam Altman, partageait sur ses réseaux une de ses photos, transformée en illustration façon Ghibli.

La tempête Ghibli

Le partage d’une seule photo a déchaîné une tempête. En quelques heures, les réseaux sociaux ont été submergés par des images Ghibli générées par des utilisateurs du monde entier. Le déferlement a été tellement intense que, très vite, Sam Altman annonçait que OpenAI limitait la fonctionnalité. L’afflux de prompts pour générer ces images « faisaient fondre les serveurs d’Open AI« .

C’est sur LinkedIn que j’ai assisté à ce tsunami d’images IA Ghibli. Mais il a dévasté aussi les autres réseaux sociaux, X et Instagram en particulier. Tout le monde n’a pas succombé à cette tendance de ghiblification. Quelques voix ont souligné le gaspillage énergivore et les questions éthiques/légales autour de la génération de ces images.

Ces images IA et les commentaires qui les entourent ont déclenché chez moi un énorme blocage créatif. Un état de confusion et de doutes qui m’a coupé toute envie de dessiner.

Avant d’expliquer les causes et les conséquences de ce blocage (et comment j’en suis sorti), revenons sur les deux personnalités au centre de cette tendance : Miyazaki (et Ghibli) d’un côté, Sam Altman (et OpenAi) de l’autre.

Hayao Miyazaki : le sorcier de Ghibli

Lorsqu’ils fondent le Studio Ghibli, en 1985, Haya Miyazaki et Isao Takahata sont des réalisateurs expérimentés. Ils ont travaillé ensemble sur des séries et films d’animation à succès chez plusieurs studios de production japonais. Pendant une vingtaine d’années, ils ont gravi les échelons, passant du balayage et du dessin d’intervalles à l’écriture et la réalisation.

Dans ce nouveau studio d’animation, les deux hommes ont la possibilité de développer des projets plus personnels. Ils produisent leurs propres films et ceux d’autres réalisateurs. Ils travaillent aussi sur des jeux vidéos.

Un succès universel et phénoménal

Les longs métrages de Miyazaki connaissent un succès croissant au Japon. En 1997, Princesse Mononoké bat tous les records au box-office japonais. Son succès à l’étranger augmente la renommée du réalisateur et de son studio dans le monde entier.

Même si, comme moi, vous n’êtes pas familier avec le cinéma japonais et les mangas, vous avez sans doute entendu parler de Chihiro, de Totoro ou de Princesse Mononoké. Ces personnages sont devenus des incontournables de la pop culture et des favoris des produits dérivés.

Moins connus que ceux de Miyazaki, les films de Isao Takahata (décédé en 2018) ont accumulé les récompenses hors du Japon. Son chef-d’œuvre est peut-être le Tombeau des Lucioles, un drame bouleversant autour de deux orphelins, plongés dans le chaos de la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

L’art subtil et délicat de Ghibli

Quel est le secret de Miyazaki pour expliquer ce succès phénoménal ?

Il y a d’abord les thèmes des films de Miyazaki. Leurs histoires entremêlent fantastique et réalité avec beaucoup de poésie. Elles abordent la relation des humains avec la nature et la technologie. Ces récits questionnent aussi la place de la tradition, de l’art et de l’artisanat, face à l’avancée de la technologie. Le réalisateur a su créer des personnages mémorables qui ont touché le cœur des spectateurs du monde entier.

Le cinéaste a été influencé autant par l’art et le cinéma japonais que par des oeuvres et des artistes occidentaux.

Sur le plan visuel, le style Ghibli (et de Miyazaki en particulier) est à la fois épuré et sophistiqué. Des personnages dessinés au trait, à la main, évoluent dans des décors peints plus travaillés. On y retrouve l’influence des estampes de Hasui Kawase, notamment dans le traitement raffiné et subtil des paysages. La rondeur du dessin des personnages évoque parfois le style de Disney (ou celui de Hergé). Il y a en effet quelque chose de très ligne claire dans la façon dont sont stylisés les personnages.

Attaché au dessin à la main, Miyazaki ne rejette pas en bloc la technologie. Au fil du temps, il a expérimenté avec l’animation par ordinateur pour élargir les possibilités qu’offre l’animation traditionnelle. Mais il a toujours veillé à conserver un aspect fait main dans ses films.

Dans ses valeurs et son fonctionnement, le travail de Ghibli et de Miyazaki est donc à l’opposé de la vision du monde de Sam Altman.

Hayao Miyazaki, dessin par Gilderic
Miyazaki, le sorcier de l’animation

Sam Altman est-il humain ?

Sam Altman n’est pas un artiste. C’est un entrepreneur. Par coïncidence, il est né la même année que la fondation du studio Ghibli, en 1985. Passionné de technologie et d’informatique, il commence des études d’informatique, qu’il abandonne pour créer, à 19 ans, Loopt, une application mobile basée sur la géolocalisation.

Après le rachat de Loopt en 2011, Sam Altman rejoint un incubateur de startup et investit dans des entreprises liées aux nouvelles technologies.

En 2015, il cofonde OpenAI, avec notamment Elon Musk. Au départ, ce n’est qu’un laboratoire qui a pour but la recherche en intelligence artificielle.

L’histoire d’OpenAI est digne d’un roman ou d’un film, avec un leader ambitieux, des conflits d’égo, des trahisons et des coups de théâtre.

Sous l’impulsion d’Altman, OpenAI évolue rapidement. Le labo expérimental se transforme en une entreprise à but non lucratif, puis, en 2019, une société à but lucratif plafonné. Les ambitions initiales s’élargissent, ainsi que le besoin de toujours plus d’argent et de ressources pour les financer.

C’est à la fin 2022 qu’OpenAI devient connu du grand public, avec le lancement de ChatGPT. Pour beaucoup de gens, ChatGPT est devenu rapidement le synonyme d’intelligence artificielle. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Une forêt bien loin de celles, fantastiques et poétiques, des films Ghibli. C’est une jungle technologique où quelques géants de la tech et des startups aux dents longues se livrent une guerre acharnée.

En à peine trois ans, Sam Altman et OpenAI n’ont cessé de perfectionner leurs modèles et d’étendre les fonctionnalités de ChatGPT. En effet, dans la guerre des mondes de l’IA, la victoire se remporte grâce à la puissance des processeurs, l’affinement des modèles et le nombre d’utilisateurs payants.

C’est une guerre où l’art, la poésie, les états d’âme, chers à Ghibli, n’ont pas leur place. Dans le film que réaliserait Miyazaki sur OpenAI, Altman serait du côté des méchants technocrates, destructeurs de la nature et des traditions.

Sam Altman (OpenAI), dessin de Gilderic
Sam Altman est-il vraiment humain ?

L’IA meilleure que les artistes ?

Chaque image Ghibli générée par ChatGPT a ajouté à ma confusion.

Je l’ai déjà écrit, l’arrivée de ChatGPT et des autres IA génératives a provoqué chez moi des sentiments contradictoires. Ce nouveau moteur graphique de ChatGPT y a rajouté une couche. Je me suis retrouvé coincé dans un blocage créatif presque insoluble.

Ce blocage, ce blues IA, se nourrit de ce constat terrifiant : l’IA peut faire en quelques secondes ce qui m’aurait pris plusieurs heures. Pas nécessairement mieux, certainement de façon moins originale, mais bien plus vite (et donc moins cher).

Il y a encore beaucoup de problèmes dans ces images générées par ChatGPT. Mais les progrès réalisés en quelques mois nous laissent supposer que ce n’est qu’une question de temps avant qu’on ne puisse plus faire la différence entre une illustration générée par l’IA et une autre dessinée par un être humain. Pire : ces IA sont capables de générer des images photoréalistes qui ressemblent de plus en plus à de vraies photos.

Du vol organisé ?

Ces avancées technologiques sont rendues possibles notamment par un pillage systématique des œuvres des artistes que les IA imitent. OpenAI appelle cette opération « entraînement des IA« , mais il s’agit bel et bien d’un vol organisé.

En effet, les artistes n’ont pas été consultés. On ne leur a pas demandé l’autorisation et on ne les a pas rétribués pour nourrir la machine avec leur travail. C’est évidemment une violation flagrante du droit d’auteur.

Quelques accords ont bien été signés entre OpenAI et des producteurs de contenu, mais cela reste marginal.

Une faille dans le droit d’auteur ?

Sam Altman milite pour une exception du droit d’auteur relativement à l’IA, en prétendant que la règle du fair use s’applique à l’entraînement des modèles. Ce qui n’est clairement le cas. En effet, l’objectif du fair use (ou usage équitable en français) est de permettre de critiquer une oeuvre, de l’analyser ou de l’enseigner.

Face à une administration Trump erratique et rétrograde, il pourrait pourtant obtenir gain de cause. Ce serait une brèche géante ouverte dans la protection des artistes.

Les artistes et créateurs n’ont aucun contrôle sur la façon dont leurs données sont utilisées pour nourrir l’IA. On sait depuis longtemps que chaque image, chaque photo postée sur internet est susceptible d’être volée, copiée, imitée, plagiée. Là, on franchit encore une étape puisque l’IA ne copie pas à la lettre votre travail. Il l’analyse pour en régurgiter quasi à la perfection le style.

Le droit d’auteur ne protège pas les idées et le style. Seulement les réalisations. L’histoire, les personnages. Les multiples générations du style Ghibli ne sont donc pas illégales. Ce qui est illégal, c’est d’avoir injecté les films et les dessins de Miyazaki dans la machine pour l’entraînement, sans l’accord du créateur.

Vers un désastre écologique ?

La génération d’images par l’IA pose également de gros problèmes écologiques. ChatGPT n’est pas une entité désincarnée dans le nuage. Ce sont des microprocesseurs entassés dans des datacenters très gourmands en ressource. Chaque requête consomme donc de l’énergie pour alimenter les serveurs et les refroidir.

La génération d’images dans le style Ghibli est donc un gaspillage d’énergie et de ressources futiles. Le genre de brutalités écologiques que Miyazaki n’a cessé de dénoncer.

Chaque image est un voyage

Sur LinkedIn, beaucoup de fans boys de l’IA conseillent aux artistes de s’y mettre. L’IA est une « aubaine », « une avancée technologique révolutionnaire » pour améliorer leur art.

Euh… Non.

Ces gens ne comprennent rien à l’art ou à la création. Pour moi, en illustration comme en photo, chaque image est un voyage. Un voyage de l’idée à la réalisation, avec ses détours, ses fausses pistes mais aussi ses révélations. Un voyage qui est parfois plus enrichissant que l’image finale.

Rédiger un prompt pour générer une image n’a donc peu d’intérêt pour moi. Même si le résultat généré est bien, ce ne sera jamais la mienne. Ce sera le produit d’une machine basé sur le vol d’autres artistes.

Je ne dédaigne pas un petit coup de pouce IA dans les logiciels pour m’assister, mais je refuse que l’IA « dessine » à ma place

Sortir du blocage

Écrire cet article et dessiner les deux portraits qui l’illustrent m’a aidé à sortir du blocage créatif. Écrire m’a permis de structurer mes pensées, d’évacuer la colère et d’apaiser mes doutes. C’est sans aucune pression ni attente que j’ai commencé ces deux dessins. Sur mon iPad, mais à la main, sans aucune aide de l’IA.

J’ai découvert que j’aimais encore dessiner. Et je me suis rappelé que dessiner me faisait du bien.C’est quelque chose que tous les Sam Altman ne pourront jamais comprendre. Ce pouvoir, cette magie du dessin, de l’acte créatif, c’est le secret que je partage avec Miyazaki et les artistes du studio Ghibli.

Et tant pis si le futur s’annonce chargé de nuages noirs pour les artistes et les créateurs. Tant que je n’oublie pas ce secret, je peux survivre à toutes les avancées d’OpenAI.


En savoir plus sur Imagier

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

11 commentaires sur “Miyazaki vs OpenAI : l’IA va-t-elle tuer les artistes et créateurs ?

Ajouter un commentaire

  1. Moi non plus, pas très attirée par l’IA. Sans doute parce que je me méfie aussi de toutes les dérives auxquelles on doit s’attendre. De plus, comme j’ai cessé d’écrire, je n’en ai guère l’utilité, je garde mes petites habitudes !
    J’avais entendu parler de Miyazaki et de son travail, mais pas de Open AI. Et je comprends ton désarroi.
    Merci de ton éclairage sur ce sujet.

    Aimé par 1 personne

  2. Cela n’a aucun intérêt dans les milieux artistiques, je trouve ce pillage honteux. Par contre, en sciences c’est un outil formidable, il fait des calculs en 1 journée de ce qui aurait pris aux chercheurs des années et ça permet de trouver des remèdes à des maladies et tellement d’autres choses encore.

    Aimé par 1 personne

    1. Tu as raison, il ne faut pas rejeter l’IA en bloc. D’ailleurs, elle est présente de plus en plus massivement dans nos téléphones et nos ordinateurs. Mais il faut absolument l’encadrer pour éviter les dérives.

      J’aime

  3. Vaste sujet… On pourrait aussi arguer qu’il est difficile pour un artiste de démêler ce qui relève vraiment de sa « patte » et ce qui est la résultante de tout ce qui l’a inspiré et « éduqué » dans sa pratique et l’apprentissage de sa technique (et donc de tous les créateurs et artistes qui l’ont précédé). Cela s’applique autant aux oeuvres visuelles qu’écrites (je pense qu’on a déjà quelques livres écrits par IA parmi les meilleures ventes et qu’on ne le soupçonne pas).
    Pour y avoir un peu réfléchi de mon côté, et bien que je ne sois pas concernée pour ce qui est de la création visuelle (comme toi ou Myazaki – j’ai totalement abandonné le dessin), je pense qu’actuellement, un des seuls domaines encore à l’abri de l’IA, c’est… L’humour. Je ne crois pas que, même avec des prompts, l’IA puisse être l’égal de l’homme sur ce sujet : les liens que cela demande de faire (notamment pour l’ironie et l’absurde) sont encore (pour l’instant) quelque chose qui lui échappe.
    En tout cas, les essais que j’ai fait moi sur GPT ne m’ont pas convaincue (à grands coups de « imite le style cinglant et l’humour noir de… » par exemple).

    Aimé par 1 personne

    1. Vaste sujet en effet, qui mériterait certainement un autre article…
      La différence, pour moi, c’est que l’artiste, contrairement à l’IA, prend beaucoup de temps pour métaboliser ses influences pour au final développer un univers personnel.
      Et que ce soit l’art ou l’humour, l’IA ne pourra jamais égaler l’humain, car elle ne ressent aucune émotion. C’est ce qui fait au final la réussite d’une oeuvre ou d’une blague, les émotions qui les ont inspirées et qu’elles suscitent.

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Un site Web propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑